Comme chaque été, la ville de Martigues nous a proposé d’organiser des balades à vélo en ville agrémentées de scénettes mises en scène et jouées par Jean Marc Zanaroli de la compagnie l’Ombre Folle. Nous intervenions cette année dans le cadre des fadas du monde, c’est le programme d’animation de l’été de la ville de Martigues.

Chaque été, Jean Marc nous fait appréhender différents thèmes, en 2022, c’était sur les personnages qui ont marqués l’histoire de Martigues, en 2023 sur le cinéma à Martigues, et en cette année 2024, un thème sur le vélo qui ne manque pas de piquant.

Notre association est chargée de l’itinéraire, d’assurer la sécurité des participants et de prendre notre part de l’animation, de rendre sonore notre expédition. Quand aux participants, ils viennent avant tout pour faire du vélo en ville dans de bonnes conditions de sécurité. Le théâtre étant la cerise sur la gâteau.

Les textes choisis par Jean Marc sont issus de sa recherche littéraire, et le vélo est une grande source d’inspiration, certains auteurs et pas des moindre : Pablo Néruda, Emile Zola, Jean Bernard Pouy, Peter Cummings, Franck et Vautrin.

Mais avant toute chose imaginez la présentation de Jean Marc après son arrivée spectaculaire à bord de son ancestral vélo : Je suis amoureux d’une bicyclette

  • Je suis amoureux d’une bicyclette
  • Quand j’ai pas le moral et que j’ai un coup de moins bien
  • J’enfourche ma bécane et je trace ma route.
  • Les gambettes à l’air épilées de frais.
  • L’esprit en roue libre Je ne crains plus personne.
  • Vélo, bécane bicyclette c’est moi le moteur de cette petite merveille
  • de plus en plus vite, de plus en plus fort quand la côte se précise mon cœur ne bat que pour elle
  • Je suis amoureux d’une bicyclette, elle me rend plus fort.
  • Me consacre poète, me rend philosophe.
  • Elle n’a pas de rivale, ne me rend pas jaloux .
  • C’est l’entente parfaite avec ma bicyclette.
  • Quand je ne fais qu’un avec elle je suis heureux
  • L’allégresse du coup de pédale.
  • Je rayonne de bonheur.
  • Elle me transporte de joie
  • J’aime sa musique, le son du dérailleur, 53 / 12
  • comme une voix intérieure
  • au diapason de mes muscles

Il y a tellement de point commun entre tenir un stylo et enfourcher un vélo. Tous les écrivains qui pédalent vous le diront. Ils évoquent une forme de symbiose entre le corps et l’esprit comme si enfin, quête ultime ces deux là n’étaient plus séparés.

Nous vous proposons quelques extraits à lire ci-dessous

Emile Zola :« J ‘aime ma bicyclette pour l’oubli qu’elle donne. J’ai beau marcher, je pense. A bicyclette je vais dans le vent, je ne pense plus, et rien n’est d’un aussi délicieux repos. »Vélo, anagramme de love, instants volés dans l’espace et dans le temps. Ce que jamais un amant ou une maitresse ne pourra vous prodiguer, la bicyclette, le vélo, vous le donne sans retenue, il vous ouvre des portes sur le monde, comme une drogue douce et légère il vous ouvre les portes de la perception.

Maurice Leblanc : « A pied ? Vous respirez le parfum de cette plante, vous admirez la nuance de cette fleur, vous entendez le chant de cet oiseau, Mais à bicyclette vous respirez, admirez entendez la nature elle-même. C’est que le mouvement produit tend vos nerfs jusqu’à leur maximum d’intensité et vous dote d’une sensibilité inconnue jusqu’ici . » Vélo incognita. Griserie allègre de la vitesse, enivrante sensation de l’équilibre. C’est l’espoir sans fin, la délivrance des liens trop lourds, à travers l’espace.

Peter Cummings : Deux homonymes de poètes célèbres sont connus pour se disputer l’invention de la bicyclette moderne à savoir l’adjonction des pédales. Ils s’appelaient Michaud et Desnos et l’un d’entre eux a ouvert la voix à la rêverie pour d’authentiques poètes. On l’a vu tout à l’heure la bicyclette serait féminine et le vélo, masculin, viril. Il est un poète qui refuse de trancher et je l’approuve : La ligne est l’homme, Le cercle est la femme. Bicycle bisexuel portez-nous sur le cadre-diamant sur les sons des roues par le travail silencieux du câble, de la chaîne et du pignon à des distances plus profondes. Attelez-nous à notre être double.

Guy Goffette :

  • Qui cherche l’or du commun à vélo
  • N’a cure d’emporter un tamis
  • Lui suffit de donner à la pente
  • Un peu de mou pour dérider le vent
  • Et n’importe au fond s’il accroche
  • En passant le bout d’une chanson
  • Des relents de cuisine ou de terre
  • Emblavée, le voile d’une Ophélie
  • Flottant à la brune (encore
  • Une histoire affreuse comme
  • Il en traîne des mille et des cents
  • Dans les coins mal dessoûlés
  • Des campagnes fleuries) et tant pis
  • Si le parfum des fumures l’emporte
  • Sur celui des roses et du printemps
  • Qui s’essaie à tâtons dans la gorge
  • Assoiffée des petits passereaux,
  • La route est longue et le bitume
  • Exquis (n’est-ce pas, Jacques,
  • Qui fendez comme un sourire
  • La grande bleue devant vous
  • En rêvant de l’herbe des talus)
  • Exquis, dis-je, quand le soleil
  • De mars joue les affranchis
  • Pour les beaux yeux d’une cycliste
  • Qui sème à tous vents les petits
  • Pois blancs de sa robe en fête.
  • Mais prends garde chercheur d’or,
  • Prends garde aux vains reflets,
  • Un tiens vaut mieux que deux
  • Mains sur les rênes du songe,
  • Serre ton guidon, serre-le
  • Comme je serre entre mes yeux
  • Ce livre où brille l’unique trésor
  • De nos vies pauvres : l’or du temps,
  • Du tendre, l’or inusable des jours
  • Perdus pour un mouchoir de blé
  • Qui grimpe en danseuse avec toi
  • Vers le col bleu des nues.

Pablo Neruda qui n’était pas l’ami d’un facteur pour rien… Ode à la bicyclette :

J’allais sur le chemin crépitant : le soleil s’égrenait comme maïs ardent et la terre chaleureuse était un cercle infini avec un ciel là-haut, azur, inhabité. Passèrent près de moi les bicyclettes, les uniques insectes de cette minute sèche de l’été, discrètes, véloces, transparentes : elles m’ont semblé simples mouvements de l’air. Ouvriers et filles allaient aux usines, livrant leurs yeux à l’été, leur tête au ciel, assis sur les élytres des vertigineuses bicyclettes qui sifflaient passant ponts, rosiers, ronces et midi. J’ai pensé au soir, quand les jeunes se lavent chantent, mangent, lèvent un verre de vin en l’honneur de l’amour et de la vie et qu’à la porte attend la bicyclette, immobile parce que son âme n’était que de mouvement, et, tombée là, elle n’est pas insecte transparent qui parcourt l’été, mais squelette froid qui seulement retrouve un corps errant avec l’urgence et la lumière, c’est-à-dire avec la résurrection de chaque jour.

William Saroyan nous parle du rythme :

Du rythme procède beaucoup de choses, sinon tout. L’action physique induit une action d’un tout autre ordre _ l’action de l’esprit, de la mémoire, de l’imagination, du rêve, de l’espoir, de l’ordre, et ainsi de suite. l’action physique engendre aussi le respect de la grâce, de la bienséance, de l’efficacité, du pouvoir calme, du naturel, et ainsi de suite. En cour de route, j’ai découvert tout ce sans quoi je n’aurais jamais pu devenir l’écrivain que je suis. A force de vélo, j’ai compris pas mal de choses sur le style, l’allure, la grâce (…) l’humour, la musique(…) et enfin peut-être mieux que tout, le rapport entre le début et la fin.

Jean-Bernard Pouy :

  • Une minute quarante-cinq.
  • Moi, je l’aime bien, mon 54 x 13.
  • Pas question d’entraîner
  • ou d’enrouler n’importe quoi,
  • il s’agit de choisir ce qui convient,
  • ce qui va vous amener le plus loin possible
  • sans griller la chair des mollets.
  • Le 54 x 13 développe moins que le 12,
  • exactement 9,13 m à chaque tour de pédalier,
  • mais c’est un nombre magique,
  • le nombre de l’équilibre,
  • cet équilibre entre douleur et réussite,
  • une moyenne du mollet. Car tout est dans le mollet
  • et dans ces quelques muscles longilignes
  • qui vont du genou huilé jusqu’à la cheville
  • huilée tout autant, tout autant suintante.
  • Les cuisses ne sont que les prolongements
  • des mollets vers le haut, vers la tête.
  • Les reins ne sont que les prolongements
  • des cuisses vers le haut, vers la tête.
  • Les bras ne sont que les prolongements
  • des reins vers le haut, vers la tête.
  • Et la tête, elle est entièrement tournée
  • vers le bas, vers le mollet.
  • Ça, je sais, c’est dans le code Wegmuller.

Franck et Vautrin, Le rythme toujours :

( …) une bicyclette libère l’âme. Elle transfigure les êtres les plus dépourvus de grâce. Elle les ennoblit. Mieux encore, elle modèle les corps, transforme les silhouettes, les étire dans l’espace, donne du flou, du vague, de l’élégance à la moindre vêture. Elle dévoile le galbe d’une jambe, dénoue la chevelure ou les tresses d’une femme offertes au vent, décoiffe le grincheux, démocratise le rupin, banalise le crétin, crée un remous, une onde de gaieté sur son passage, barre les rues d’un trait vif, transmue un grenadier en petite aile, un facteur en messager des dieux, une jeune fille à galurin en joli cygne dans les airs, une bourgeoise mutine en gaie sportive photographiée par Lartigue.

Juchée sur sa bécane, Germaine avait trente ans ! Elle lâchait parfois le guidon. Les mains aux cocottes, elle filait dans les virages. La tête dans les épaules, elle était sujette à des exaltations de sprinteuse émérite. Au kilomètre lancé, elle rupinait comme une championne.

Bien qu’elle eût en sainte horreur l’idée de la compétition, il lui arrivait parfois de régler son compte à un petit télégraphiste qui s’était risqué à la défier sur le plat. Sitôt qu’elle l’avait coiffé au bout d’une avenue, elle abandonnait son concurrent malchanceux. Dring, dring, le timbre moqueur, elle tendait sa main droite pour indiquer qu’elle tournait. Elle virait sur le flanc.

Plus loin, en proie à des fièvres de grimpeuse, elle dandinait du bassin et escaladait les pentes en position de danseuse. Ou bien, flânochant le long des boulevards, elle cédait dès les premiers soleils à des langueurs de peau, à des revenez-y de pure jeune-fille.

Parfois, elle sautait en marche de sa bécane. Elle abandonnait la chaussée pour le trottoir, accompagnant sa chère reine d’un pas de promeneuse en la tenant familièrement par son col de chrome.

Dino Buzzati : Le temps d’un tour d’Italie 1949, il se fait aède, poète antique pour nous livrer cette épopée. Si la bicyclette est la petite reine, le vélo devient parfois le trône des héros.

Ces héros vont souvent par deux, Il y a Greg Le Mond versus Bernard Hinault, Jacques Anquetil contre Raymond Poulidor, le combat inachevé entre Eddy Mercks et Ocana et tout en haut de ce Panthéon, le sommet des Dieux : Le Duel homérique entre Fausto Coppi- Achille et Gino Bartali- Hector.

Extrait de sa chronique du 10 juin 1949 :

Cette étape, qui dévore les hommes , commença dans une vallée triste, sous la pluie, sous de grands nuages, dans un brouillard flottant au ras du sol, dans un climat de malaise, une atmosphère dépressive. Emmitouflés dans leurs tuniques imperméables, les coureurs, comme pour se protéger de ce temps hostile, se tenaient serrés l’un contre l’autre, et se traînaient dans l’ascension de la Valle Stura comme de gros escargots léthargiques. Mystérieusement, l’automne était arrivé, la route était déserte ; peut-être n’allions-nous plus rencontrer ni villages ni créatures humaines,

Un hasard favorable nous permit d’assister à la scène décisive, au plus important fait d’armes de la guerre, à ce qui a dissipé tous les doutes et mis un terme aux discussions et aux polémiques pour lesquelles le pays tout entier se passionnait. C’est de cette très courte scène, qui s’est dé­roulée dans la majestueuse solitude des montagnes, que devait dépendre tout le reste : le triomphe d’un homme jeune et l’irrémédiable crépuscule d’un autre, qui n’était plus très jeune. (…)

Pendant des années et des années — nous nous en rendîmes compte — on allait parler à n’en plus finir de ce menu fait qui en lui-même ne paraissait avoir aucune particularité spéciale : simplement un homme à bicyclette qui s’éloignait de ses compagnons de voyage. Et pourtant, aux bords de la route, irrésistible, passait à cet instant-là — ne riez pas — ce que les Anciens avaient coutume d’appeler le Destin (le Père souverain vers le ciel leva les balances d’or et deux destinées de sommeil éternel : l’une était pour Achille et l’Autre pour Hector : (il) les maintint en suspens et du chef troyen le jour fatal tomba descendant aux Enfers.) (…)

Dans le sillage de Coppi deux autres coureurs démarrèrent sèchement, distançant le peloton. Puis deux autres encore. Et Bartali ? Notre grand homme ne réagissait-il pas ? Si : nous le vîmes se dégager, difficilement, du milieu du peloton, s’infléchir sur la droite et donner de brusques coups de reins pour se lancer à leur poursuite. Mais, fait étrange, on aurait dit qu’il le faisait sans conviction, qu’il n’y croyait pas, qu’il considérait tout ce remue-ménage comme une feinte tout à fait inoffensive. (…)

Tout se résumait à cela : à ce combat entre les deux solitaires, Le fugitif et celui qui le poursuivait : les deux plus grands héros, qui se disputaient le royaume en serrant les dents. Les autres restèrent derrière, d’autres montagnes apparurent, toutes mélancoliques et sauvages Le col de la Maddalena aurait déjà suffi à épuiser un taureau. Or, on avait à peine commencé

La victoire vint se ranger au côté de Coppi dès les premières minutes du duel. (…)On voyait les muscles, sous la peau, semblables à des serpents extraordinairement jeunes contraints de sortir de leur enveloppe. Comme auparavant dans les Dolomites, il avançait avec un calme absolu. (…)

A la frontière, proche du col de la Maddalena, il avait plus de deux minutes d’avance ; et à la cime du col de Vars quatre minutes vingt-neuf secondes. Maintenant se profilait la muraille inquiétante de l’Izoard, au fond d’une longue et horrible gorge. Pour Bartali était-ce donc l’effondrement ? (…) Non, Bartali était toujours semblable à lui-même : têtu, dur, implacable.

Mais comment peut-on résister à quelqu’un que les dieux favorisent ? Il était souillé par la boue, mais son visage gris de terre restait immobile malgré l’effort. Il pédalait, il pédalait comme s’il s’était senti talonné par une terrible bête, comme s’il avait su qu’en se laissant rejoindre tout espoir eût été perdu. Ce n’était que le temps, le temps irréparable, qui lui courait après. Et c’était un grand spectacle que cet homme seul, dans cette gorge sauvage, en train de lutter désespérément contre les ans. Vinrent les fantastiques gradins de l’Izoard, qui couperaient le souffle même à un aigle, et qui se ter­minent par un amphithéâtre désolé de gros rochers abrupts, avec des donjons de pierres jaunes à l’aspect humain. Vint la montée vertigineuse au-dessus de Briançon Il y avait encore l’ascension du Montgenèvre : cinq cents mètres de dénivellation en plus. Etait-ce à ce moment-là que le massacre prenait fin ?

Non, il n’était pas terminé. Il y avait une cinquième muraille à gravir, le col de Sestrière, (…) Coppi s’envolant vers les sommets, libéré de l’inquiétude des premières heures, certain comme il l’est d’atteindre la ligne d’arrivée en solitaire. Et Bartali tenant le coup. Mais entre eux, lentement, lentement, les minutes s’accumulent : 6’46 » au Montgenèvre, 7’17 » à Cesana, presque 8’ au col de Sestrière ; une douzaine environ au stade de Pinerolo.

C’est un vaincu, Bartali, aujourd’hui. Pour la première fois. Voilà qui nous remplit d’amertume, car cela nous rappelle intensément notre sort commun à tous. Aujourd’hui, pour la première fois, Bartali a compris qu’il était arrivé à son crépuscule. Et pour la première fois il a souri. C’est de nos propres yeux que nous avons constaté le phénomène lorsque nous sommes passés à côté de lui. Quelqu’un l’a salué sur le bord de la route. Et lui, tournant légèrement la tête dans cette direction-là, il a souri : l’homme hargneux, distant, antipathique, l’ours intraitable aux incessantes grimaces de mécontentement, lui, précisément : il a souri.

Il existe une langue pratiquée sur toute la surface de la Terre. Le vélosperento :

J’ai vu au cœur du désert du Rajasthan un vieil homme en robe blanche, droit comme un i sur une bicy­clette toute neuve, une main posée sur le guidon, l’autre tenant un parapluie jaune fluo pour se protéger du soleil ; j’ai vu à Delhi des malheureux qui dorment sur leur vélo pour que l’on ne le leur vole pas, les pieds sur le guidon, les reins sur la selle, la nuque sur le banc de leur carriole ; j’ai vu une jeune fille et un jeune homme s’embrasser au feu rouge, au coin de Whangzu-lu ; j’ai vu un peloton de moines bouddhistes en robe orange sortir de l’enceinte d’un temple à Ceylan ; j’ai vu un solitaire en gants blancs longer les bambous du jardin de la Longévité à Kyoto ; j’ai vu l’empreinte d’un pneu de bicyclette sur la terre ocre d’une piste dans les parages d’Alice Springs ; j’ai vu des garçons de quinze ans multi­plier les acrobaties sur une seule roue à Arkhangelsk à bientôt minuit face à la mer Blanche, et j’ai vu les mêmes sous les bananiers de la promenade de Sotchi au bord de la mer Noire ; j’ai vu les parkings à vélo bondés devant un musée d’Amsterdam ; j’ai vu un garçon en casquette accompagner à bicyclette une jeune fille qui courait sur le haut plateau éthiopien ; j’ai vu un gamin en djellaba sur un vieux clou rouillé faire le tour de la place centrale à Tombouctou ; j’ai vu un autre gamin porter un écha­faudage de paniers sur les épaules dans une rue d’Alep ; j’ai vu des coursiers, une hotte sur le dos, le sifflet à la bouche, slalomer entre les voitures dans la Ve Avenue ; j’ai vu une femme en robe rose sur une bicyclette noire devant la gare de Guayaquil ; j’ai roulé à vélo sur le salar d’Uyuni au milieu des monticules de sel à quatre mille mètres d’altitude ; j’ai vu la photographie de mon copain Roland qui franchit la frontière kirghize ; j’ai doublé à Grand Junction (Colorado) deux Helvètes qui descen­daient de la frontière canadienne en vélo couché ; j’ai croisé des jeunes filles qui s’entraînaient du côté de la mer d’Azov ; j’ai aperçu à la sortie de Likkôping une drôlesse qui transportait son caniche dans un panier posé sur le guidon ; j’ai vu l’avenue bordée de lauriers-roses où se jugeait l’arrivée du tour d’Azerbaïdjan à Tabriz ; à Lisbonne j’ai rêvé d’un fixie à jantes vertes ; et j’ai lu que Pierre Bettencourt avait vendu son vélo en Océanie à un indigène qui était reparti tout nu au milieu de la brousse.

Et vous fermez les yeux quelques secondes, quelle image vous vient spontanément à l’esprit.