Subventions, un modèle à la dérive

Le mardi 18 février dernier en Martinique, une entreprise spécialisée dans l’isolation thermique a lancé une offre de vélos cargos à zéro euro, tentant d’en écouler un maximum avant une éventuelle évolution réglementaire. En théorie, une telle initiative aurait pu avoir un impact positif en mettant sur l’île près de 50 000 vélos cargos (chiffre annoncé par la société Coop Écologie). Cependant, la démarche ressemblait davantage à une opération opportuniste désespérée qu’à un projet réellement structurant. L’entreprise, visiblement au courant d’une évolution rapide de la situation, a joué la carte de l’urgence pour maximiser ses ventes.

Nous avons été sollicités avec insistance par Coop Écologie, qui nous a pressés de signer rapidement :
« Dépêchez-vous, signez vite, car dans quelques jours, ce ne sera plus possible ! »
Cette précipitation, loin de rassurer, a suscité des doutes sur les véritables intentions derrière cette opération.

 Ce n’était d’ailleurs pas la première intervention de cette entreprise dans le domaine de la transition écologique. Elle s’était déjà illustrée par la distribution gratuite de brasseurs d’air dans plusieurs hlm de l’île. Malheureusement, la quasi-totalité de ces équipements est tombée en panne en quelques mois. À ma connaissance, plus aucun de ces appareils ne fonctionne aujourd’hui.

Cette situation perdure depuis longtemps, sans qu’aucune plainte formelle, à notre connaissance, ne soit remontée auprès du bailleur social. Ici, à la cité Racine (SMHLM), les habitants, moi y compris, ont fini par se résigner à cette situation, faute de solution ou d’interlocuteur clair.

Face aux signalements d’offres anormalement basses sur les vélos cargos, la DGEC (Direction Générale de l’Énergie et du Climat) a réagi. Le 19 février, la fiche CEE TRA-EQ-131, qui permettait de financer ces vélos, a été abrogée par décret.

Une nouvelle fiche CEE a été mise en place, permettant désormais de financer les vélos cargos neufs ou reconditionnés, avec des critères plus stricts. Malheureusement, cette nouvelle version ne semble pas améliorer la situation déjà précaire de la mobilité à vélo dans notre territoire.

Cette affaire soulève des questions cruciales sur la gestion des subventions écologiques. Plutôt que d’encourager des opérations opportunistes à court terme, les dispositifs devraient être pensés pour garantir une véritable transition écologique, locale, durable et cohérente. Tant que ces aides continueront à être mal surveillées, elles risquent de servir davantage les intérêts des entreprises que ceux des citoyens et de l’environnement.


Le terme « subvention » trouve son origine dans le latin signifiant « secours » ou « aide », « venir à la rescousse de quelqu’un ». Cette étymologie suggère une intention de soutenir ceux dans le besoin. Cependant, dans la réalité, le système de subventions impose souvent des contraintes qui excluent précisément les petites associations locales nécessitant le plus d’aide. Ainsi, l’outil censé faciliter l’action devient une fin en soi, éloignant ces structures de leur mission initiale.

Ce phénomène s’inscrit dans une dynamique plus large de la société moderne, où les moyens (les outils, les processus, les systèmes) finissent par remplacer les fins (les objectifs, les valeurs, les missions initiales). Pour le dire simplement, on se focalise tellement sur comment faire qu’on en oublie pourquoi on le fait.

Simone Weil, pour ne citer qu’elle, dénonçait déjà ce principe. Elle comparait le travail moderne à celui d’un ouvrier en usine : autrefois, un artisan fabriquait un objet en comprenant son utilité. Aujourd’hui, l’ouvrier exécute des tâches mécaniques sans lien avec le produit fini. Il ne sait plus pourquoi il travaille, seulement comment le faire. De même, les associations, initialement créées pour répondre à des besoins concrets, se transforment de plus en plus en machines administratives. Au lieu d’agir selon leur raison d’être, elles se concentrent (souvent sans l’admettre) sur des critères secondaires : les financements, les apparences, les statistiques …

Les structures associatives s’adaptent aux exigences administratives, quitte à modifier leurs pratiques ou leurs objectifs. On observe ainsi des associations qui, au lieu de s’adresser aux populations locales et d’intervenir directement avec créativité, se contentent d’organiser des événements répétitifs, faciles et tout tracés. 

Celles qui refusent cette logique sont marginalisées, jugées non professionnelles, inadaptées ou inefficaces (selon des critères qui ont perdu de vue l’essentiel.)Les institutions, quant à elles, privilégient les grandes structures « à grandes ambitions prometteuses » au détriment des petites initiatives réellement ancrées localement. Les financements sont dirigés vers des processus administratifs bien rodés, plutôt que vers l’action la plus pertinente. Résultat : les moyens prennent le pas sur les fins, et l’essence même du travail associatif se perd.


Notre approche repose sur une compréhension directe des besoins et une action immédiate. Ce travail a une finalité claire : permettre aux gens de se déplacer, apprendre aux jeunes à réparer eux-mêmes leurs vélos, et redonner vie à des objets abandonnés. Mais au-delà de ces objectifs, il y a quelque chose de plus profond : le plaisir d’agir pour agir, la satisfaction de faire ce que l’on fait avec attention et engagement, sans être aliéné par des buts extérieurs.

Notre méfiance envers les subventions n’est pas un caprice, mais un choix éthique et politique au sens noble. Nous affirmons que l’efficacité réelle ne se mesure pas par des chiffres, mais par une transformation qui, oui, peut être fastidieuse, mais qui s’opère véritablement sur le terrain. Nous remettons la finalité au centre, là où elle doit être. Car lorsque l’on agit avec authenticité, en se consacrant pleinement à ce que l’on fait, le but vient naturellement, et il est d’autant plus riche et significatif.

La recherche du travail bien fait, du savoir-faire, devrait être pour une association l’objectif principal. D’autant plus que, dans le cadre associatif, il y a plus d’espace pour cela.

La première forme de soutien devrait être l’écoute et la reconnaissance. Comprendre notre réalité et nos besoins, avant même de parler d’argent, est essentiel. Un dialogue ouvert et honnête avec les institutions permettrait de construire des solutions pertinentes et adaptées à notre mission sociale et environnementale.

Pour nous, aux Vélos Marin Martinique, une aide significative ne passe pas seulement par des subventions financières. Ce dont nous avons besoin avant tout, c’est d’une reconnaissance institutionnelle, d’un véritable dialogue avec les acteurs publics. Trop souvent, les associations comme la nôtre sont ignorées ou traitées comme des structures secondaires, simplement parce qu’elles ne rentrent pas dans des cadres économiques traditionnels ou sont jugées trop modestes. Pourtant, c’est dans cette modestie, dans cette simplicité d’agir pour agir, que réside souvent la véritable richesse.

Les vélos que nous réparons ne sont pas de simples objets à rentabiliser, mais des biens essentiels à la mobilité, à la solidarité et à l’écologie. Ce qui compte, ce n’est pas leur valeur sur le marché, mais leur capacité à répondre à un besoin fondamental. Pourtant, cette vision est trop souvent ignorée par les institutions, qui ne soutiennent que les projets entrant dans des logiques économiques classiques.

Il est temps de changer de paradigme et de reconnaître que les solutions aux véritables crises actuelles ne viendront pas du marché, mais d’une organisation sociale fondée sur l’usage, la réparation et la coopération – et surtout, sur une manière de faire endogène, où l’on agit pour le plaisir d’agir, sans être aliéné par des objectifs extérieurs.

Dans une société où les moyens ont remplacé les fins, nous avons choisi de ne pas nous perdre dans l’illusion. Nous préférons une action libre et ancrée dans le réel, loin des logiques bureaucratiques qui vident le travail de son sens et affaiblissent les liens humains.

Accepter une subvention ne doit jamais être un acte automatique. C’est un choix stratégique et éthique, où l’indépendance d’action, de vision et de valeurs doit toujours primer. Refuser une subvention peut parfois être la meilleure façon de rester fidèle à sa mission.

LES VELOSMARIN MARTINIQUE Le Marin le 27/02/2025

Liens utiles :