Depuis plusieurs années, en sillonnant les routes de la Martinique ou en observant les alentours des déchetteries, nous sommes frappés par un phénomène de plus en plus visible : l’abandon massif d’objets encore en bon état ou nécessitant de simples réparations pour être réutilisés.
Vélos, électroménagers, appareils électroniques ,véhicules , tracteur …
Tout finit souvent « dans les poubelles », alors qu’une deuxième vie serait possible pour beaucoup de ces objets.
Ce constat est alarmant car il révèle une profonde contradiction de notre époque. Dans une île où les ressources matérielles sont limitées et où l’importation des biens a un coût non négligeable, on pourrait penser que la réutilisation et la réparation seraient des pratiques logiques, voire naturelles. Pourtant, la réalité est tout autre : nos décharges débordent d’objets abandonnés, parfois encore fonctionnels.
Que s’est-il passé pour que nous en arrivions là ?
Le Cycle de la Surconsommation
La Martinique, comme beaucoup d’autres régions dans le monde, subit de plein fouet les effets du modèle de surconsommation importé des pays industrialisés.
Ce modèle repose sur une logique de production continue et rapide, où les objets sont souvent remplacés plutôt que réparés, alimentant ainsi une culture du « jetable ».
En conséquence, les vélos en bon état, les ventilateurs, les machines à laver et même les ordinateurs finissent trop souvent dans les décharges, alors qu’un simple geste de réparation pourrait prolonger leur durée de vie.
Cette logique de consommation crée non seulement des déchets inutiles, mais elle amplifie aussi la dépendance aux importations et à des ressources déjà sous pression. Pour une île comme la nôtre, cette situation est encore plus critique. Le transport de nouveaux biens pèse lourdement sur l’environnement, augmentant notre empreinte écologique.
Une Responsabilité Collective
Cependant, la responsabilité n’incombe pas uniquement à ceux qui jettent. Nous vivons dans un système qui valorise trop peu la réparation et la réutilisation. Le savoir-faire pour entretenir ou réparer des objets, autrefois communs, est en train de disparaître. Nous n’apprenons plus à prolonger la vie des biens que nous possédons, ce qui engendre un cercle vicieux : les objets deviennent obsolètes plus rapidement et finissent par être remplacés, même quand ils pourraient encore servir.
Les solutions existent pourtant. En tant qu’association, Les Vélos Marin Martinique essaye d’apporter une réponse à cette problématique, en récupérant les vélos destinés à la destruction pour les remettre en état, et en formant les jeunes à la réparation de leurs propres vélos. Nous croyons que chaque vélo sauvé de la poubelle est une victoire contre la culture du jetable, mais aussi un geste concret pour l’environnement et pour notre communauté.
L’Impact Social de la Réparation
Au-delà de l’impact écologique, la réparation et la réutilisation d’objets ont également une portée sociale immense. Dans les quartiers défavorisés, où nous intervenons, la possibilité d’accéder à un vélo ou à un autre bien sans avoir à l’acheter est une véritable bouffée d’air. En redonnant une seconde vie à ces objets, nous permettons à des familles et des jeunes de bénéficier de services essentiels à moindre coût. Un vélo, par exemple, peut devenir un moyen de transport vital pour se rendre au travail ou à l’école.
La réparation crée également des compétences. En apprenant à réparer, les jeunes acquièrent des connaissances et une autonomie précieuses, qui non seulement les aident à s’approprier leurs biens, mais qui leur ouvrent aussi des perspectives futures. C’est un geste de solidarité autant qu’un geste d’émancipation.
Réparer et Recycler : Une Pratique Ancienne à Réhabiliter
Il est important de noter que la réparation et la réutilisation faisaient autrefois partie intégrante de la culture martiniquaise. Nos aînés savaient prolonger la vie de leurs biens grâce à des gestes simples, mais aujourd’hui, cette culture tend à disparaître au profit d’une consommation rapide et jetable. Ce changement est non seulement coûteux pour notre planète, mais aussi pour notre cohésion sociale.
Notre association milite pour un retour à ces pratiques, tout en les adaptant aux défis modernes. Nous savons que ce travail de sensibilisation demande du temps, mais nous croyons fermement qu’il est indispensable. En recyclant, réparant et prêtant des vélos, nous prouvons chaque jour qu’il est possible de lutter contre le gaspillage et de créer des alternatives viables à la surconsommation.
Un des principaux freins à notre initiative reste le manque d’espace dédié à la récupération, la réparation et le stockage des vélos et autres objets que nous récupérons. Malgré nos nombreuses demandes auprès des institutions locales, il est souvent difficile d’obtenir un soutien logistique concret. Ce manque d’espace traduit une vision limitée de la gestion des déchets en Martinique. Les déchetteries de l’île se contentent souvent d’enterrer les objets ou de les renvoyer en métropole, sans envisager des solutions locales qui favoriseraient le recyclage et la réutilisation. Il est urgent que les décideurs comprennent que des initiatives comme la nôtre peuvent non seulement alléger la charge des déchetteries, mais aussi générer des solutions durables, en réintégrant ces objets dans un circuit d’usage utile pour la communauté.
Vers un Nouveau Modèle ?
La question qui se pose souvent face à des initiatives comme la nôtre est celle du modèle économique. Comment rendre viable un projet basé sur la gratuité, le don et la réutilisation ? Nous répondons que le modèle dominant de production-consommation-destruction n’est tout simplement pas viable à long terme. Il génère des déchets massifs, épuise les ressources, et crée des inégalités. À l’inverse, réparer, réutiliser et partager crée un modèle socialement et écologiquement durable.
Nous savons qu’il est difficile de convaincre les institutions et les décideurs politiques de soutenir des projets qui ne reposent pas sur un modèle économique traditionnel.
Pourtant, les gains pour la communauté et pour l’environnement sont immenses.
» <strong>Il est urgent de repenser nos priorités et d’encourager les pratiques qui, à terme, créeront une société plus équilibrée, solidaire et durable.</strong>
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Association Les Velos Marin Martinique 25/09/2024