LE MONDE | 04.05.2012 à 14h10
Par Olivier Razemon
Ramy, 12 ans, plonge la chambre à air dans un seau à demi rempli d’eau et observe les bulles remonter à la surface. Un petit trou est localisé, il reste à enduire de colle le caoutchouc, poser une rustine puis serrer la chambre à air entre les paumes, très fort. L’enfant demande l’aide d’un adulte.
Aurélien Morin, barbe et tignasse rousses, vêtu d’une combinaison kaki, lui prête volontiers ses mains pleines de cambouis. Le jeune homme est l’un des bénévoles de la Cyclofficine, une association, créée en 2010, qui promeut la réparation et l’entretien des vélos. Avec une autre volontaire, il assure une permanence devant le collège Henri-Wallon, d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).
Les habitants de ce quartier tranquille connaissent bien cet atelier en plein air où l’on peut obtenir de l’aide, le samedi ou le mercredi, pour réparer son vélo. Au cours de l’après-midi se succèdent un adolescent débrouillard et son VTT, des parents dont le jeune fils pleure la crevaison de son premier vélo et une salariée à peine sortie du bureau, avec sa bicyclette hors service depuis un an. M. Morin les accueille et livre rapidement son diagnostic. Il faut changer tel câble rouillé, démonter le pédalier ou dévoiler cette roue.
Les bénévoles ne travaillent pas seuls. La Cyclofficine, qui se définit comme un "atelier coopératif", se fixe pour objectif d’enseigner les gestes élémentaires, de façon que chacun apprenne à se débrouiller. Devant le collège d’Ivry, M. Morin se montre disponible, serviable, à l’écoute, mais il n’intervient que lorsqu’on a besoin de lui. La formule fait recette. La Cyclofficine a inauguré, jeudi 3 mai, un atelier dans une ancienne salle de danse du 20e arrondissement de Paris. Le local, ouvert depuis quelques semaines aux habitants du quartier, est en pleine effervescence. Les bénévoles, tee-shirts de couleur maculés de graisse, se mêlent aux adhérents à la recherche d’une suggestion et aux voisins du quartier qui passent la tête, par curiosité. Le tutoiement est de rigueur. On s’échange des clés à molette et des conseils.
Mira Bjornskau, une étudiante norvégienne vivant à Paris, a passé une bonne heure à réparer un pédalier, aidée par des bénévoles. "C’est le vélo de ma soeur ; je l’avais laissé dehors et quelqu’un l’a endommagé. Je vais pouvoir le lui rendre comme neuf", dit-elle. Pour pouvoir bénéficier de ces services, la jeune femme a versé sa cotisation à l’association, 25 euros pour un an, et acheté les pièces détachées pour une somme modique, 5 euros pour une roue, par exemple. L’atelier se révèle bien plus avantageux que les "vélocistes", garagistes pour vélos, qui réclament 15 à 20 euros pour une crevaison, et parfois jusqu’à 100 euros pour remettre à neuf une bicyclette.
Derrière les bons conseils et les petits gestes d’entraide émerge une ambition militante. "Nous faisons sortir les vélos des caves. Les gens les remettent en état et les utilisent davantage, ce qui contribue à pacifier les rues et rendre la ville plus agréable", assure Julien Allaire, administrateur de L’Heureux Cyclage, un réseau regroupant, outre la Cyclofficine, une cinquantaine d’ateliers vélo répartis dans toute la France.
Ces associations prospèrent aussi bien dans les villes universitaires telles que Bordeaux ou Rennes qu’à Pamiers (Ariège) ou Romans-sur-Isère (Drôme). Elles proposent à leurs quelque 25 000 adhérents des vélos soigneusement retapés, vendus entre 50 et 80 euros. A Lille, forte de ses 1 800 membres, l’association Droit au vélo réclame des aménagements cyclables aux élus locaux. A Grenoble, Un P’tit Vélo, qui dispose de deux ateliers, dans le centre et sur le campus universitaire, organise des "vélos-parades" destinées à accroître la visibilité des cyclistes en ville.
Partout, les associations cherchent le soutien des municipalités. "Nous ne demandons pas nécessairement des subventions, mais des locaux pour stocker le matériel ainsi que la possibilité d’accéder aux déchetteries municipales", précise M. Allaire. Car les vélos cassés ou abîmés, dont les utilisateurs se débarrassent en les jetant ou en les abandonnant à un poteau, ne sont pas perdus pour tout le monde. Ils constituent une source abondante de pièces détachées, permettant notamment de réparer des modèles qui ne sont plus en vente depuis des décennies. Toutes les mairies ne coopèrent pas avec autant d’enthousiasme. A Ivry, la Cyclofficine réclame la possibilité d’occuper un local appartenant à la municipalité, mais se heurte à un refus. "Si cela ne tenait qu’à moi, ils auraient depuis longtemps un lieu pour travailler", indique Chantal Duchêne, adjointe au maire (EELV), qui ne parvient pas à convaincre la majorité communiste à laquelle elle est pourtant associée.
Olivier Razemon