Pour notre association, un vélo n’est jamais un simple objet. C’est une ressource précieuse, une matière première , en conséquence il est aussi un outil qui crée des liens sociaux et valorise l’économie locale. Depuis notre quartier populaire, nous récupérons des vélos abandonnés, les réparons, et les rendons accessibles à ceux qui en ont besoin. Cette démarche repose sur des pratiques de terrain. L’arrivée de la filière REP (Responsabilité Élargie du Producteur) pour les articles de sport, dont les vélos, soulève des interrogations .
Les vélos délaissés : un stock et potentiel silencieux dans les foyers
Depuis le début de nos activités, nous avons constaté un phénomène intéressant : Les vélos cassés ou inutilisés ne sont que rarement jetés. Ils restent dans les foyers ,dans les garages, jardins ou balcons, conservant une valeur sentimentale ou utilitaire. Ces “réserves dormantes” attendent un enfant qui grandit, un adulte en quête de mobilité, ou une réparation improvisée , ou quiconque est prêt à le valoriser.
Contrairement aux voitures, les vélos ont une capacité unique à ressusciter après des années d’inactivité. Cette particularité est essentielle pour les initiatives locales qui s’emploient à leur redonner vie.
Les structures comme Décathlon ou Intersport, en charge de la collecte, privilégieront probablement des solutions industrielles de recyclage. De nombreux vélos, jugés irréparables selon des critères standardisés, risquent d’être envoyés directement à la ferraille, supprimant toute chance de réutilisation. À l’inverse, un vélo qui reste dans un foyer bénéficie d’un atout essentiel : du temps. Ce délai augmente ses chances d’être réparé ou réutilisé par un individu, un proche ou une association comme la nôtre, capable de lui offrir une nouvelle vie.
Une inquiétude face à la filière REP
La filière REP pourrait bouleverser cet équilibre en incitant les familles à déposer leurs vélos cassés dans des points de collecte. Ce geste, perçu comme écologique et vertueux, risque de faire disparaître ce « stock latent » , cet espace utile qui se crée finalement dans le communs et pour le communs .
Valoriser ce « capital domestique »
Nous plaidons pour une filière REP qui ne remplace pas, mais renforce les dynamiques locales et familiales :
Encourager la réutilisation à domicile : Informer les familles sur les options de réparation ou de don.
Crée des acteurs locaux car actuellement presque inexistant en Martinique : accorder une place centrale aux associations et réparateurs locaux dans la chaîne de valorisation.
Les obstacles pratiques à surmonter
En Martinique, des contraintes majeures compliquent la mise en œuvre de ce modèle :
L’espace
Sans locaux pour stocker et réparer, nous sommes limités dans notre capacité d’action. En Martinique, où l’espace est rare et coûteux, de notre côté aucune solution n’a encore été proposée malgré nos demandes répétées aux institutions.
Les déchetteries devraient être repensées pour intégrer des espaces dédiés à la réutilisation et non uniquement au recyclage.
Le temps : Réparer un vélo est un processus minutieux et enrichissant. Pourtant, cette étape est souvent perçue comme une contrainte. Une collaboration étroite entre acteurs locaux et distributeurs pourrait transformer ce temps en opportunité éducative et sociale.
La valeur des objets : Ce n’est pas un simple objet fonctionnel, mais un bien porteur de sens. La réparation valorise cet héritage, bien plus qu’un recyclage industriel.
Pour une REP équitable et locale : remodelé nos habitudes
Pour que la filière REP devienne un outil véritablement bénéfique, il faudrait une situation, une réalité radicalement différente. Dans sa forme actuelle, la majorité des vélos collectés risque de finir dans des fonderies d’acier, anéantissant toute possibilité de réutilisation. Certes, cela va stimulé la machine économique pour l’achat de nouveaux vélos neufs, et même du recyclage, mais à quel prix ?
Quelle étrange ironie pour une “économie qui se voudrait circulaire “ !
Créer des ateliers dédiés au réemploi : Ces infrastructures sont pratiquement absentes en Martinique. Il faut mettre en place des espaces physiques , permettant la réparation et la réutilisation des vélos, en valorisant les initiatives locales .
Impliquer les acteurs de terrain : propriétaire et utilisateur de vélos , Associations, réparateurs et collectifs doivent être au cœur des décisions stratégiques, car ce sont eux qui connaissent le mieux les besoins et réalités du terrain.
Prioriser la réutilisation avant le recyclage : Aucun vélo réparable ne devrait être systématiquement démantelé. Une évaluation attentive doit précéder toute décision de recyclage.
Encourager des modèles éthiques : Les projets axés sur le partage doivent être préservés, car ils incarnent une vision humaine et durable de l’économie circulaire.
Plutôt que d’effacer ces dynamiques locales, la filière REP devrait les renforcer.
L’espace : Sans locaux pour stocker et réparer, notre capacité d’action reste limitée. Les déchetteries doivent intégrer des zones dédiées au réemploi et facilite le partenarial avec plusieurs structure locales.
Dans sa forme actuelle, la filière REP centralisée risque de fragiliser une situation déjà précaire , en ignorant d’autres possibilités explorables .
Les Vélos Marin Martinique
Le Marin, 22 novembre 2024