Autrefois, en Martinique comme ailleurs, le vélo faisait partie intégrante du quotidien des jeunes. C’était un moyen de transport simple, écologique et accessible à tous.

Aujourd’hui, dans la ville du Marin, une triste réalité s’est imposée : venir à l’école à vélo est devenu presque inconcevable. Ceux qui osent tenter l’expérience se heurtent à un rejet déconcertant. Arriver à vélo à l’école est désormais perçu par certains comme un acte de rébellion, presque d’excentricité, là où il ne devrait être qu’un geste de simplicité et de bon sens. Les jeunes n’osent plus envisager le vélo.

Des valeurs oubliées

Les enfants et adolescents se retrouvent dans une situation inconfortable : le vélo, pourtant économique et écologique, est devenu un objet de stigmatisation. Dans les écoles primaires, collèges et lycées, les élèves ne viennent plus en vélo. Ma fille, par exemple, témoigne : « Je n’ose pas venir à vélo à mon lycée. J’ai l’impression d’être la seule à vouloir le faire, et cela me décourage. » Ce sentiment d’isolement pousse de nombreux jeunes à renoncer à un moyen de déplacement pourtant sain.

Comment en est-on arrivé là ?

En Martinique, il manque cruellement de soutien pour les initiatives locales non marchandes, et on note une absence de vision politique à long terme, notamment pour le recyclage et la réutilisation des objets du quotidien. Un soi-disant « progrès » nous a conduits à cette situation : une rationalité froide, efficace en apparence, mais fondamentalement déconnectée des réalités humaines. Cette mentalité qui impose l’efficacité et la conformité au détriment des valeurs humaines, s’infiltre dans les institutions et les esprits. Elle pousse les structures locales autonomes à se conformer à des modèles standardisés, affaiblissant ainsi la solidarité et la responsabilité collective en Martinique. Bien que certains fonctionnaires et élus en soient conscients, peu agissent pour renverser cette tendance.

Dans les activités de notre association ici dans le quartier, cette pression se fait sentir. Dans notre résidence, les vélos sont interdits sous les cages d’escalier, donnant l’impression d’être chassés. Il est aussi mal vu de laisser les enfants rouler à vélo dans le parking privé, bien que ce soit l’un des rares espaces accessibles. Paradoxalement, des voitures y circulent parfois bien au-delà de la vitesse autorisée, mettant les enfants en danger. Les comportements des automobilistes, plus que la présence des vélos, créent des risques.

Pourtant, notre association a tenu bon. Dès nos débuts en 2021, nous avons dû lutter contre des restrictions locales : une pétition de plus de 100 signatures a été nécessaire pour permettre la reprise des ateliers vélos à la cité Racines du Marin. L’association Les Vélos Marin (LVM) organisait des séances d’ateliers de réparations gratuites devant le bâtiment Gombo de la résidence Racines. Malgré une lettre du bailleur social, la SMHLM, exigeant l’arrêt immédiat de nos activités, la mobilisation des résidents a permis de préserver cet espace d’entraide et de réappropriation du vélo.

Une pression sociale étouffante

Aujourd’hui, alors que la transition écologique est présente dans les discours politiques, on pourrait espérer que l’usage du vélo soit encouragé dans les écoles. mais c’est tout le contraire : le soutien institutionnel fait défaut, et la voiture, symbole de confort et de statut, règne en maître.

Certaines écoles ont même interdit l’accès aux vélos, réduisant ainsi les options de mobilité des jeunes. Ce choix instaure une dépendance précoce aux véhicules motorisés, où le vélo, pourtant simple et écologique, est oublié, perdant sa place dans l’imaginaire collectif. Ce conformisme institutionnel et mécanisé participe à la déshumanisation de nos pratiques et à une surveillance généralisée des comportements. Faire du vélo devient alors une résistance silencieuse, un acte qui défie un modèle uniformisé imposant la voiture comme unique moyen de mobilité.

À qui la faute ?

Comment en sommes-nous arrivés là ? Se pourrait-il que nous ayons été aveuglés par un idéal de progrès technologique, oubliant en chemin le bon sens et l’autonomie de chacun ? Aujourd’hui, élus et fonctionnaires tendent à voir le monde comme une série de problèmes techniques à résoudre, réduisant ainsi les enjeux sociaux et culturels à de simples variables.

Dans cette vision, le vélo, autrefois pratique et accessible, devient une rareté. Les institutions martiniquaises ne soutiennent pas les petites structures associatives locales, affaiblissant les pratiques éthiques et négligeant les dynamiques locales. Cette logique érode la diversité des initiatives et encourage un conformisme destructeur pour les identités culturelles.


Un réveil nécessaire

Le déclin du vélo chez les jeunes en Martinique révèle une problématique complexe qui nécessite une réflexion collective et un engagement sincère des institutions. Réhabiliter le vélo comme moyen de transport privilégié pour les élèves contribuerait à améliorer leur santé, leur autonomie et à préserver l’environnement de notre île. Les institutions éducatives auraient un rôle essentiel à jouer pour soutenir et encourager l’usage du vélo, en facilitant son accès pour les jeunes .

Pourtant, le vélo ne devrait pas être perçu comme un acte de rébellion, mais comme un choix naturel . Il est temps que les institutions martiniquaises reconnaissent l’urgence de la situation et prennent des mesures concrètes pour redonner vie à une mobilité qui respecte à la fois l’humain et l’environnement.


Association les vélos Marin Martinique, ville du Marin le 08/11/2024